Pour un observateur extérieur, le jeu video de stratégie en temps réel, dit STR, apparait comme une activité obscure et incompréhensible. L’interface y est dense, les mécaniques sont nombreuses, et le rythme soutenu. De l’analyse du gameplay au décryptage des modes de représentation et d'interaction, je tente de comprendre comment le joueur est amené à assimiler tant de complexité. L'enquête prend la forme d'un documentaire de trente cinq minutes, narré en voix off où joueurs et professionnels du jeu vidéo jouent et commentent les différents aspects de jeux tels que Starcraft ou Age of Empires.
Ma méthode de recherche en design a toujours été à peu près la même. Récolter des images, annoter des idées, les imprimer et les afficher sur un mur devant mon bureau, en espérant qu’elles impriment ma mémoire et qu’elles m’aident à clarifier mes idées. Cette pratique est commune à de nombreuses disciplines. Elle fonctionne grâce à la mémoire associative, capable de relier des choses à priori sans rapport, automatiquement et sans effort. Une image entrainant une idée, qui en appelle une autre, et ainsi de suite.
L’influence de la vue sur la mémoire avait déjà été pressentie un demi-millénaire avant JC par le poète grec Simonide de Céos. L’érudit avait mis au point une technique de spatialisation de la mémoire qui permettait aux grands orateurs de se souvenir de leurs discours. Il leur suffisait de visualiser les symboles des choses qu’ils souhaitaient retenir, de les disposer mentalement dans des lieux selon un ordre précis, puis de parcourir ces espaces imaginaires pour y retrouver l’information. On peut comparer cette expérience à celle du jeu vidéo d’aventure, où le joueur est amené à traverser un décor dans lequel sont disséminés des indices qu’il convient de récolter pour résoudre l’intrigue.
C'est en menant ces différentes observations que j'en suis venu à m'intéresser à la notion d’impact cognitif. Quels effets une expérience visuelle peut-elle produire sur son lecteur ? Je me suis alors demandé si les interfaces numériques nous rendaient plus apte à assimiler une masse d'informations.
Puis, j'ai choisi d'orienter mes recherches vers le jeu vidéo, média dont les vertus pédagogiques ont été démontré ces dernières années, notamment par le biais des serious game, ces jeux sérieux conçus entre autres, pour améliorer nos capacités motrices ou intellectuelles, sur un plan thérapeutique, éducatif ou professionnel. Mais la piètre qualité de ces derniers ne m’a pas retenu.
Alors je me suis focalisée sur le jeu vidéo de stratégie en temps réel. Un jeu de stratégie militaire pour PC, à jouer à plusieurs en réseau, ou individuellement contre la machine, dans lequel le joueur est amené à choisir une civilisation, à s’implanter dans un territoire et à détruire son ennemi. Mais contrairement à un jeu au tour par tour comme les échecs par exemple, ici l’action des différents participants y est simultanée. Ce qui a pour effet d’exiger une grande rapidité dans la manière de traiter l’information.
Avant d’entreprendre ce mémoire, je n’avais encore jamais joué aux jeux vidéo de stratégie en temps réel. Je n’y connaissais rien. Mais c’est en observant des joueurs autour de moi et en jouant moi même à ces jeux, que j’ai formulé mes premières hypothèses sur le sujet. Puis j’ai eu l’occasion de rencontrer de jeunes professionnels du jeu ; game designers, graphistes, sound designers, grâce à qui j’ai nourri petit à petit ma réflexion.